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Quel est le premier contact qu'ont les jeunes français avec le service public ?
C'est à Gap (en Hautes-Alpes, pas le magasin) que je suis allée poser la question, à la sortie du lycée et de l'université.
Sans surprise leur première démarche administrative consistait à demander une carte d'identité ou une carte vitale, avec souvent un parent à la manœuvre dans l'ombre. Mais que se passe-t-il lorsqu’il n’y a pas de soutien familial ? Ou quand les parents n’ont pas les réponses ?

« Les jeunes galèrent avec un scan de carte d’identité alors qu’ils sont à l’aise avec un smartphone. »
Anthony Dez, coordinateur départemental des Hautes Alpes des conseillers numériques
Les France services pourraient être un levier tout indiqué. Avec un million d’accompagnements réalisés tous les mois sur le territoire français, les espaces France services incarnent un véritable tournant dans l’accès aux services publics. Pensé et porté par le gouvernement et l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires (ANCT), ce réseau s’est imposé comme une réponse concrète à une fracture administrative bien réelle. Concrètement, il s’agit d’un guichet unique implanté dans tout le territoire français, même les plus reculés, afin d'offrir aux citoyens un relai pour les aider dans leurs démarches administratives. Pour incarner cette mission, ce sont des conseillers engagés, pédagogues et experts des démarches administratives qui incarnent et contribuent à la réussite de ce dispositif. Alors que les France services s’adressent à tous les citoyens, elles peinent pourtant à séduire les plus jeunes : moins de 6 % des usagers des France services ont moins de 26 ans. Au fur et à mesure de mes immersions sur le terrain ce constat m’a frappé, alors que j’avais l’intuition que jeunes et France services avaient tout à gagner à se rencontrer.
On pourrait penser que les démarches administratives en ligne sont un jeu d’enfant pour les jeunes parce qu’ils sont à l’aise sur les outils numériques, mais c’est faux. Déjà parce qu’ils utilisent principalement des smartphones et qu’ils savent moins bien se servir d’un ordinateur. Pourtant, les démarches administratives se font principalement sur un ordinateur faute d’interface suffisamment responsive. Ensuite parce que l’univers administratif a toujours ses codes, ses acronymes et ses temporalités, et que même si Chat GPT peut répondre à de nombreuses questions, l’IA ne fait pas (encore ?) les démarches à notre place. Enfin parce que pour beaucoup de jeunes, les démarches administratives ressemblent à une boîte noire. Se faire recenser, demander une bourse, ou comprendre ses droits à la Sécurité sociale : autant de moments importants qui marquent les débuts dans la vie d’adulte, et qui, s’ils sont mal vécus, peuvent générer des blocages — voire conduire à une véritable phobie administrative.
Outiller les premiers pas dans la vie administrative, c’est déjà œuvrer à une forme d’égalité des chances. Avoir accès à l’information, comprendre ses droits et ses devoirs, connaître les institutions qui nous entourent : tout cela contribue à construire une citoyenneté active. Les France services, par leur ancrage sur le territoire et l'expertise de ses conseillers pédagogues, ont toutes les clés pour accompagner les jeunes dans ces étapes clés. Alors, comment les faire franchir la porte d’une France services ?
« Oui j’ai une carte vitale, mais ce sont mes parents qui ont tout fait j’avoue. »
Antoine*, devant le lycée Aristide Briand, Gap (*prénom modifié)
Tous les jeunes sont confrontés à un enjeu d’autonomie administrative. Très souvent, le premier rapport aux démarches se fait à travers les parents. Ce sont eux qui guident, qui accompagnent — mais aussi, parfois, qui transmettent leurs propres craintes, leurs difficultés passées, voire une forme de méfiance vis-à-vis de l’administration. Autant de filtres qui colorent l’expérience du jeune avant même qu’il n’ait pris contact directement avec un service public. En travaillant avec la France services de Gap sur ce sujet, j’ai compris que ce sont parfois les jeunes n'ayant pas la chance de bénéficier d’un soutien familial, suivis par la mission locale, l’AFPA ou le Foyer des Jeunes Travailleurs qui sont les mieux accompagnés sur les démarches administratives.
Pour faire connaitre les France services, c’est tout un écosystème qu’il faut réussir à embarquer. Mobiliser les jeunes doit se faire en mobilisant leur entourage. Si l’on veut faire évoluer l’image de l’administration auprès des jeunes, cela passera par une stratégie collective, coordonnée, ancrée dans les territoires. Au croisement de tous ces acteurs, les France services sont un véritable trait d’union, sur lesquelles nous pouvons nous s’appuyer.
« J’aimerais bien qu’on en parle en vie de classe, une fois dans le mois, pendant 30 min à 1h par exemple, pour qu’on nous apprenne au moins les bases. »
Lucile*, à l’arrêt de bus devant l’université (*prénom modifié)
Mais alors, quel est le bon moment pour parler d’administration aux jeunes ? Le lycée peut sembler prématuré : à cet âge, les démarches restent souvent abstraites, déléguées aux parents, et peinent à susciter un réel engagement. Pourtant, attendre le « point de bascule » — ce moment où ils commencent à devenir indépendants, souvent le départ du foyer —, c’est déjà intervenir trop tard. Car c’est justement quand les rouages administratifs deviennent pressants qu’il faut avoir les bons réflexes. C’est pourquoi intervenir dès le lycée permet d’équiper durablement les individus dès les premières étapes de leur parcours.
Et ces jeunes, contrairement à certains préjugés, ne sont pas désintéressés. Ils veulent comprendre, s’engager, maîtriser leur environnement administratif. Ce qui leur manque, ce n’est pas la curiosité ou la volonté, c’est une porte d’entrée. Une manière de penser des services qui parlent leur langage, qui partent de leurs besoins : et c’est ici que le design intervient.
France services s’interroge aujourd’hui sur la manière de devenir une véritable porte d’entrée accessible et accueillante pour les jeunes. En tant que mandataire du programme LILA « Lieux Innovants, Lieux Acceuillants » de la Banque des Territoires, l’équipe de designers d’EY Fabernovel a exploré à leurs côtés comment réinventer l’image de ces lieux pour répondre aux besoins et aux codes de cette génération, et ainsi susciter l’envie, la confiance, l’appropriation. Mais comment concrètement ?
Grâce à ses 3 super-pouvoirs, le design devient un levier stratégique pour tisser des liens entre les jeunes et le service public :
- L'EMPAHTIE : par ce que « se mettre à la place de » est la base du design, nous définissons une cible resserrée, nous allons à sa rencontre en lui parlant d'une manière qui lui est intelligible, pour l'écouter et comprendre ses besoins.
- EXPLORATION & CO-CONSTRUCTION : Nous explorons des futurs souhaitables et désirables, nous nous inspirons de ce qui existe déjà aussi, pour co-construire avec les usagers des solutions concrètes et viables.
- FORMALISATION : Nous réalisons ces solutions en outillant les France services pour leur permettre d’activer ces solutions sur le terrain et de nouer un dialogue durable avec les jeunes.

Nous donnons ainsi naissance à des objets de communication et des objets frontières façonnés par notre compréhension fine des usages, des attentes et des réalités des jeunes. Un ensemble d'éléments tangibles et adaptés à la cible, qui favoriseront cette rencontre qui ne demande qu'à advenir.
Retour sur le terrain. Objectif : trouver les bons mediums pour aller à la rencontre des jeunes et comprendre leurs besoins. Pour parler de démarches administratives — rappelons-ici qu’il ne s’agit pas, loin de là, d’un sujet de passion pour nos interviewés — nous avons besoin de capter leur attention. Et c’est en réunion avec un jeune en stage d’observation que nous avons trouvé l’astuce : s’équiper d’un micro à la manière des youtubeurs pour les aborder. C’est par un matin de février — bien frais, le thermomètre ne dépasse pas les 0° — que nous leur demandons ensuite de cocher sur un support les démarches qu’ils ont déjà réalisés. Plutôt que de nous raconter « une démarche », il nous raconte comment ils ont fait leur carte vitale ou leur demande de bourse. Pratique et concret. Une fois la confiance établie, ils nous parlent de ce que représentent pour eux le service public et l'administration, si propres au monde adulte. De leurs blocages mais aussi de leurs aspirations vis à vis de leur citoyenneté en devenir. De retour à la France services, nous posons sur le parcours usager les points de rupture et les opportunités de rencontre que nous identifions.
Puis nous explorons : nous rencontrons les acteurs locaux pour comprendre les spécificités du territoire et leurs attentes ; nous réalisons une veille d’inspiration pour comprendre comment les acteurs nationaux du service public s’adressent aux jeunes.
Cette étude nous permet de repositionner notre problématique : et si, plutôt que de les attirer, on les rendait acteurs ? Ou même ambassadeurs de ces lieux ? Car qui mieux qu’eux pour faire tomber les barrières, réinterpréter les codes, créer le lien là où il manque ? Il nous faut imaginer des formats à leur image, plus mobiles, plus visibles, plus engageants. C’est pourquoi nous avons créé la fresque des démarches administratives, un atelier de sensibilisation aux démarches administratives, associant moments de vie vécus et démarches administratives. Animée par la France services, la fresque permet d’engager un premier contact entre les jeunes et les conseillers, de présenter de manière ludique les démarches, et de sensibiliser à la pluralité d’intervention de la France services. Pour que cette fresque prenne vie, elle doit être accompagnée de tout un ensemble d’outils qui embarqueront l’entourage des jeunes. Nous l’accompagnons de supports de communication, nous outillons la France services pour animer son réseau de partenaires, et nous réaménageons les espaces France services à leur image, afin qu’elle s’inscrive durablement dans leur paysage.
« La fresque nous permet de structurer ce que l’on sait déjà des démarches, en les rendant visibles et clairs avec les cartes. »
Léo*, lycéen, lors d’un atelier de la fresque (*prénom modifié)

Après cinq ans de déploiement, les structures France services entrent dans une nouvelle phase. Il s’agit désormais de les pérenniser, de les enrichir, et surtout, de les rendre pleinement accessibles à toutes et tous.
En s’appuyant sur leur connaissance du territoire et leur proximité avec les usagers, les France services ont la capacité d’aller chercher des publics éloignés du service public : alors que l’on pourrait les oublier, les jeunes en font aussi parti. Accompagner dès le plus jeune âge sur les démarches administratives, c’est former les citoyens de demain à un rapport plus sain et confiant au service public. Les jeunes ont besoin des France services, mais l’inverse est aussi vrai : en mobilisant les jeunes autour des France services, c’est une nouvelle génération d’ambassadeurs du service public qui se met en marche.
Alors que la fresque administrative fait déjà ses preuves dans plusieurs France services, elle ne suffira pas si elle n’est pas accompagnée d’une étude approfondie et personnalisée de chaque territoire. Il faut en comprendre leurs spécificités, et par conséquent les besoins qui en découlent. Alors que les jeunes quittent Gap pour faire leurs études, les jeunes de Saint-Jean-de-Luz, eux, sont principalement des saisonniers avec des problématiques de logement très forte. Arpentage terrain, entretiens, veille, parcours utilisateurs… Encore et toujours, les outils et méthodologies du design - sans cesse renouvelés, crash testés, adaptés - nous permettent de comprendre les besoins et aspirations véritables de personnes réelles à travers leurs différents moments de vie. Et ce afin d'y répondre de façon innovante avec le maximum d'impact pour le bien commun.