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Transformation vers les modèles durables
23.8.2023
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Protéines alternatives, à la recherche de LA nouveauté
Protéines alternatives, à la recherche de LA nouveauté
Remy Stère

Plutôt qu’un grand soir des protéines alternatives qui viendraient remplacer les protéines d’origine animale, le marché qui se dessine est celui d’une nécessaire complémentarité entre ces deux sources de calories. Condition de la réussite : que des partenariats gagnant-gagnant se nouent rapidement entre start-up et grands groupes. L’objectif : développer une nouvelle génération de produits alimentaires à même de séduire le grand public, à moindre coût et de qualité. 

Le marché des protéines alternatives répond-il aux attentes du grand public ? Pas encore. Goût, texture, prix, accessibilité… Le compte n’y est pas, s’entendent les participants à la table ronde « Future of Food », organisée par EY Fabernovel début juillet2023. « Ce marché est pourtant incontournable face à l’impact de la chaîne animale sur le climat – la viande est le plus gros contributeur des gaz à effets de serre du secteur agricole », rappelle Mathieu Lhomme, Partner de la société d’investissement Kurma Partners, spécialisée dans les sciences de la vie et la santé.

Si la viande ne représente que 18 %des calories consommées dans le monde, sa production est responsable de 56 à 58% des émissions de gaz à effet de serre d’origine agricole. En surconsommer, c’est aussi s’exposer à un risque de maladie accru - cancer du côlon, obésité, diabète… Et les actes de maltraitance animale relevés dans les abattoirs ne sont pas rares.

Une terre fertile
Les protéines alternatives convaincront-elles demain Madame et MonsieurTout-le-Monde ? « Les technologies sont là. Mais les industriels doivent s’engager pour parvenir à proposer une offre nouvelle génération de qualité, aux propriétés gustatives reconnues, aux prix et aux formats attractifs. Déjà, des produits émergent avec une valeur ajoutée, tant en termes de santé et de goût que d’impact sur le climat. C’est une terre fertile », poursuit Mathieu Lhomme.

L’ère de la maturité se dessine-t-elle à l’horizon ? Après une première vague – des start-up militantes proposant des produits finis animal-free (burgers, nuggets, …) –, puis une deuxième – des entreprises proposant aux industriels des ingrédients« alternatifs » biotech –, une « shore break » (vague de bord) est-elle en train d’atteindre le rivage ? Oui et non, répond Mathieu Lhomme. « Trop souvent associés à une partie croissante mais encore faible des consommateurs (les véganes ou les végétariens) et à une privation (le sans-animal), ces produits doivent devenir désirables et les grandes marques doivent s’en emparer pour conquérir le grand public. L’innovation dans ce domaine ne fait que commencer. »

De l’influence de la pandémie et d’une guerre
Paradoxalement, c’est une pandémie – le Covid-19 – et une guerre – Ukraine-Russie– qui poussent les voiles du marché. « Confrontés à la volatilité de leurs coûts et à de gros problèmes d’approvisionnement, les grands groupes de l’alimentaire, dans ce contexte inédit ont commencé à s’emparer du sujet, qui était jusque-là largement le terrain de jeu des start-up. Diversifier et sécuriser leurs sources d’approvisionnement et leurs ingrédients est devenu un enjeu essentiel pour eux », poursuit Mathieu Lhomme.

Pour cet investisseur, « plutôt que de parler de ‘protéines alternatives’, mieux vaut s’entendre sur le terme de ‘protéines complémentaires’. Et plutôt que de promettre un grand soir– au risque de faire peur, de développer des antagonismes, voire des problèmes politiques ! –, parlons d’une diversification de l’alimentation ». Et d’hybridation ? « Il est déjà possible de proposer des produits très intéressants pour réduire l'impact carbone en utilisant un mix entre végétal et animal, en attendant la maturité des technologies comme la fermentation de précision ou la culture cellulaire », confirme Mathieu Lhomme.

Compliqué pour une start-up, le marché grand public
À l’image de Bon Vivant, société cofondée par Hélène Briand, ingénieure agronome. « Par un procédé de fermentation, nous reproduisons la protéine de lait, très nutritive, que l’on commercialise auprès d’industriels du lait. » Et pourquoi pas, développer, aussi, une stratégie tournée vers le consommateur ?

« On s’est posé la question du BtoC, mais les industriels laitiers sont les plus gros industriels de France. La notoriété de leurs marques est mondiale et leur force de frappe impressionnante. Donc face à eux là où une start-up comme Bon Vivant sort vraiment son épingle du jeu c’est sur l’innovation, la technologie, etc. pas sur le marketing ou la distribution. De plus pour avoir un réel impact environnemental il faut des volumes conséquents mieux vaut donc s’allier avec eux et leur vendre nos ingrédients », explique Hélène Briand.

Des partenariats à développer
Mathieu Lhomme confirme : « De plus en plus de partenariats se nouent entre start-up et industriels, sous la forme d’accords R&D jusqu’au développement produit. Mais pour que cela fonctionne, les grands groupes doivent accorder un traitement de faveur aux jeunes pousses : termes de paiement favorables, contrats simplifiés, process de décision accélérés ! Il faut quelque chose de beaucoup plus simple et une approche dédiée dans les process de grands groupes pour ces innovations et les relations avec les start-up. Toute une réflexion est à engager en la matière. Sinon, c’est toujours la même histoire : les gros tuent les petits sans le vouloir, et l’innovation ne va pas à la vitesse qu’elle devrait… Il reste là un nœud à desserrer ».

Pas si simple. Nour Abkaraly, fondateur des Nouveaux affineurs, société qui propose du fromage à base de soja et de noix de cajou, explique la nécessité de son indépendance : « Nous avons notre usine de 1 000 m2 en propre ». Pourquoi ce choix ? « Notre méthode de fabrication fait partie intégrante de notre actif immatériel. Pour les produits fermentés, il y a de la concurrence au stade de la fabrication. Cela dit, pour développer la technologie, commercialiser de nouvelles gammes et monter en échelle, oui, nous allons multiplier les échanges avec des industriels : ils viennent vers nous pour développer de nouvelles recettes, avoir un cahier des charges. Nous envisageons avec eux des alliances d’ordre technologique, pour qu’ils puissent développer dans leur usine nos procédés. »

Le mot de la fin revient à Hélène Briand : « Que ce soit en termes de bien-être animal, d’alimentation des bêtes ou d’antibiotiques – progressivement remplacés –, la filière de l’élevage a fait beaucoup de progrès. Mais en termes de productivité, la filière reste limitée, une vache ne peut pas produire plus de 45 litres de lait par jour à partir de 25 kilos de matières sèches. Il faut donc trouver des solutions complémentaires pour répondre à la demande croissante, et cela de manière durable… ».

D’autant que l’activité agroalimentaire est responsable d’environ 30 % des émissions des gaz à effets de serre et absorbe 70 % de la consommation d’eau douce de la planète. Par ailleurs, près d’un tiers des stocks de poissons sont surexploités. Et la Terre devrait porter dix milliards d’individus – contre 8 milliards aujourd’hui. Autant de bouches en plus à nourrir…

Pour autant, l’avenir n’est pas tracé. Si la stratégie nationale bas carbone de la France fixe bien une trajectoire de baisse de la consommation de viande – de moins 20 % –, force est de constater que sa consommation individuelle a augmenté de 3 % depuis 2013 (source : FranceAgriMer, administration publique chargée du suivi des marchés agricoles). Certes, les Français achètent de moins en moins de pièces de boucherie mais ils consomment de plus en plus de produits transformés et de plats préparés, qui en contiennent. À méditer avec les pouvoirs publics.

NDLR : cet article est le troisième d’une série basée sur les enseignements de l’événement Future of Food « Les protéines alternatives vont-elles sauver le monde ? » organisé par EY Fabernovel début juillet dans le cadre des activités de son lab EY dédié à la durabilité.

Au prochain acte, nous aborderons la thématique d'un point de vue marketing en tant que levier pour provoquer un changement dans les habitudes de consommation.

Découvrez l'acte #1 : Les mutations sociales, crises et contraintes font bouger les habitudes

Découvrez l'acte #2 : Innovation alimentaire : les protéines alternatives, un marché arrivé à maturité ?

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