
Marc Andreessen, le célèbre VC de la Silicon Valley que nous ne nous lassons pas de citer chez Fabernovel, a eu cette formule : “software is eating the world”. En seulement 5 mots, il décrivait la rupture technologique, économique et sociologique en marche depuis le début des années 2000 – et donc l’impératif de transformation numérique auquel devrait se soumettre, tôt ou tard, tout acteur en place. Ce n’est pas une mince affaire : du modèle de valeur à l’infrastructure technologique, en passant bien évidemment par la culture et l’organisation, toutes les composantes de l’entreprise sont concernées !
D’aucuns diront que seuls les digital-native companies peuvent y arriver ; à ceux-là, nous répondons par un exemple connu de tous : Nike. D’entreprise traditionnelle qui fabrique des produits physiques à _software company _pionnière du mobile, l’épopée de la marque à la virgule a de quoi redonner espoir aux dirigeants de tous horizons.
Une entreprise innovante depuis le début
Depuis sa création dans les années 80, Nike a su innover tant sur le produit que sur la création d’une marque de sportswear puissante. Elle consacre 10 % de son chiffre d'affaires global au marketing, avec le sport et l’engagement sociétal au premier plan de sa stratégie. En 2018 s’opère un pivot majeur vers une approche _Direct To Consumer (D2C) _– laquelle représentait en 2019 près de 12 milliards de dollars, soit 30 % de ses revenus – avec la suppression progressive d’intermédiaires tels qu’Amazon. Cette transformation du modèle fait progresser le titre de Nike de 33 % en bourse. Mais si cette stratégie a le succès qu’on lui connaît, c’est surtout que Nike a su devenir une software company.
Devenir une software company n’est pas de tout repos
Le numérique a tenté de se faire une place chez Nike dès 1999. Cette année-là, Nike met en place la première partie de son plan supply chain. Il coûte 400 millions de dollars et s’appuie notamment sur le logiciel i2, qui a vocation à optimiser la gestion et la vente de 120 000 produits différents. La mise en place de cet ERP est un échec retentissant. La marque est allée trop vite et n’a pas su établir des standards fiables de partage d’informations avec i2. Le budget explose : de 40 millions de dollars provisionnés, Nike arrête les frais après 100 millions de dépenses.
Deuxième tentative : la firme se tourne vers le _hardware _en 2012. Elle lance le Nike+ Fuelband, un bracelet connecté dont les ventes sont d’abord un franc succès. Mais face à la concurrence et aux difficultés intrinsèques au hardware, comme la demande constante de nouvelles fonctionnalités, Nike connaît un second échec. Néanmoins, cela lui a permis de constituer une communauté de plus de 13 millions d’utilisateurs. En 2014, Nike licencie 70 % de ses effectifs dédiés au Fuelband afin de se recentrer sur le software.
C’est donc forte de ces apprentissages, parfois coûteux, que l’entreprise construit le succès de sa stratégie D2C à partir de 2018. La stratégie de Nike pour réellement devenir une software company repose alors sur 4 piliers forts.
Le numérique infusé dans toutes les strates du business
Premier pilier de transformation : développer des produits technologiques destinés à attirer les clients au sein de l’écosystème Nike – et à les fidéliser. À partir de 2018, l’entreprise se concentre ainsi sur les applications mobiles. Celles-ci sont développées en natif afin de garantir une expérience utilisateur du plus haut standard. Nike Run Club (NRC) et Nike Training Club (NTC) deviennent les vitrines de l’écosystème digital Nike. L’entreprise a compris que le combat du _hardware _est vain : c’est le smartphone et la montre connectée qui ont gagné.
Ces technologies sont des leviers que Nike utilise aujourd’hui pour transformer l’ensemble du parcours d’achat. Cela peut surprendre : sur la dizaine de points de contact développés par Nike, seuls le site Nike.com et l’application Nike SNKRS sont voués à générer directement du revenu. Nike Fit fait office de porte d’entrée : le consommateur scanne ses pieds et se voit suggérer la pointure parfaite. Nike Running Club et Nike Training Club accompagnent l’étape d’utilisation des chaussures lors des sessions de sport, que ce soit des Nike ou non. Le point focal n’est plus le produit mais bien le client.
Deuxième pilier : le programme de fidélité NikePlus, une sorte de “Nike Prime”, qui rassemble 170 millions de membres. À titre de comparaison, Netflix avait, en juillet, 193 millions d’abonnés. NikePlus alimente une boucle de valeur vertueuse grâce à des avantages en magasin, des offres exclusives ou encore un accès à Apple Music. Résultat, les membres NikePlus dépensent en moyenne 40 % de plus que les autres clients. Nike parvient ainsi à créer, à développer et à rentabiliser un segment de super-buyers ultra captifs.
Le troisième pilier de la stratégie de Nike est l’excellence opérationnelle. Celle-ci passe principalement par la maîtrise et l’exploitation intelligente de la data. Au sein de ses magasins transformés en centres d’expérience, les vendeurs ont accès directement à toutes les données du client. Ils peuvent ainsi lui proposer une expérience parfaitement adaptée à ses habitudes d’achat ou à sa pratique sportive. La stratégie de collecte des données initiée avec NRC et NTC s’avère ici payante. D’un point de vue logistique, Nike a également acquis pour 110 millions de dollars la startup Celect, spécialisée dans l’analyse prédictive des ventes. La marque à la virgule peut ainsi anticiper les besoins des clients afin d’optimiser ses stocks, rationaliser les inventaires et choisir les meilleurs canaux de distribution.
Quatrième et dernier pilier : Nike a réinventé son expérience du retail physique. À New York, Shanghai et maintenant Paris, les _Houses of innovation _incarnent la façon dont Nike se représente les magasins du futur. Dans celle de la capitale française, les visiteurs peuvent découvrir une frise chronologique retraçant l’histoire de la légendaire AirMax ou encore un rayon dédié aux créations originales de designers franciliens. Mais ils pourront aussi calculer, via le Sneakers Lab, leur pointure exacte à l’aide de l’application Nike Fit. Comme le montre ce dernier exemple, la force de Nike s’appuie sur l’intégration parfaite de son écosystème digital à l’intérieur de ses magasins. En utilisant le scanner de QR code de l’application Nike, un client peut choisir un modèle à sa pointure et le récupérer dans un corner dédié du magasin. Le paiement se fait évidemment via mobile, comme dans un Apple Store. Mais l’achat effectif n’est pas une fin en soi. Pour la firme, avoir une présence physique locale sert surtout à renforcer les liens émotionnels avec sa marque et à faire découvrir l’étendue de son écosystème.
**Nike s’est dotée des mêmes super-pouvoirs que les GAFA **
En octobre 2019, John Donahoe est nommé PDG de Nike. Il ne lui faut pas longtemps pour faire cette déclaration fracassante : “We are a tech company”. Adam Neumann, jusqu’à l’introduction en bourse avortée de WeWork, défendait une vision similaire ; celle-ci, cependant, n’allait pas au-delà des mots. Celle de Nike, à l’inverse, semble bel et bien justifiée. L’entreprise peut en effet se targuer de posséder aujourd’hui 5 des 7 super-pouvoirs des GAFA :