
Si quelques Européens importent le vélo en Chine dans les années 1920, son histoire n’y commence réellement qu’en 1949. Cette année-là, avec la fondation de la République Populaire de Chine, le parti décide de promouvoir la petite reine comme le véhicule du peuple. Dès cet instant, l’industrie se développe et les infrastructures s’adaptent. La Chine prend en compte le vélo dans toutes ses démarches d’aménagement de la ville et voit la construction de routes complètes dédiées au vélo - permettant également de pallier un manque de transports publics.
L’usage du vélo comme moyen de transport journalier a été légion jusqu’au développement - la démocratisation - de l’automobile en Chine, à la fin des années 1990 (vs années 1960 en Europe). Nouveau signe de réussite sociale, l’automobile prend finalement le pas sur la petite reine qui n’aura cessé de croître jusqu’en 2000. A ce moment-là à Pékin, 60% de la population se déplaçait quotidiennement en vélo.
Dès 2000, le vélo hérite ainsi d’une connotation trop populaire pour rester accepté. En même temps, la Chine procède à un fort développement de ses transports en commun. Alors porté disparu, le vélo va finalement renaître de ses cendres à partir de 2014.
La Chine découvre le vélo en libre service 7 ans après notre Vélib’, à sa manière. Malgré quelques expérimentations de systèmes de vélos en libre service publics, c’est du privé que viendra la révolution - et ce sur un mode complètement différent de celui du Velib’. Apparaissent ainsi ces vélos en _free floating _ou dockless, comprendre “sans station”. Après un trajet, il peut être déposé n’importe où par l’utilisateur - sans la contrainte de station saturée que nous connaissons tous.
Ces nouveaux vélos en libre service se développent très vite en Chine, facilités par une population urbaine très connectée et par une sensibilisation croissante sur les effets néfastes des transports fossiles.
Ce sont aujourd'hui plus de 30 sociétés privées, avec en tête Mobike (vélos gris et oranges) et Ofo (vélos jaunes), qui opèrent des centaines de milliers de vélos en Chine.
Le développement de ces vélos est aussi catalysé par un système basé sur l’efficacité. Qu’il s’agisse de l’expérience utilisateur ou du vélo, tout est simple, tout est efficace.
Pour prendre un vélo, l’utilisateur géolocalise les vélos à proximité via WeChat. Il peut s’approcher de l’un d’entre eux et scanner le QR Code positionné sur l’antivol qui se déverrouille alors. Le vélo peut-être reposé n’importe où tant qu’il est dans la ville et sur un endroit permettant le stationnement d’un vélo.
A Shanghai, nous avons été frappés par cette start-up chinoise dont la vitesse de développement dépasse largement nos standards occidentaux. Ayant eu la chance de rencontrer Florent, collaborateur #37 de l’entreprise, nous avons saisi l’opportunité de cet échange pour décrypter le succès de cette start-up emblématique d'un phénomène aujourd'hui planétaire.
Le modèle du free floating pose des contraintes de design et choix de technologies propres : localisation, accès au vélo, remise du vélo. Sur ces sujets, Mobike a su faire des choix tranchés.
Des technos bien choisies pour maximiser l’usage
Mobike a été le premier à embarquer le GPS à ses vélos : la géolocalisation ne se limite donc plus à une géolocalisation via l’iPhone de l’utilisateur, qui limite la traçabilité du vélo, mais permet au contraire de géolocaliser le vélo lui-même (et non pas l'utilisateur) à tout moment.
Au coeur du service : le QR code. Technologie ultra adoptée en Chine et qui est la clé de déploiement dans d’autres pays où l’usage est moins présent, car simple et très accessible [NDLR voir l'article “où est passé l’UX ?”]. D’ailleurs, un lecteur de QR code est intégré directement à l’app Mobike pour éviter d’avoir à télécharger une application de lecture des QR code : le déblocage du vélo devient une expérience ultra simple.
Ce n’est pas tout, on peut désormais débloquer un vélo avec son Apple Watch, en Bluetooth et avec iOs 11 grâce au scan direct du QR code depuis la caméra native de l’iPhone. Toujours plus de facilité...
En outre, le service est pensé pour l’international : Mobike - comme Uber - pourra bientôt être utilisé dans tous les pays avec une seule application mobile.
Du design d’objet malin
Un objet dont le design a été pensé avec un but : redonner de la face aux utilisateurs.
En effet, les designers de Mobike avaient à coeur de s’intégrer au mieux dans le quotidien des Chinois. Roues à bâtons oranges, cadre en aluminium brossé monopoutre, transmission par cadran (sans chaîne pour ne pas dérailler), panneau solaire dans le porte bagage pour alimenter en énergie l’antivol et les lumières... Tous les ingrédients pour une bonne expérience sont réunis.
Vélo Mobike (source : www.mobike.com)
Si le service est si efficace, c’est que l’ensemble des défis imposés par le modèle du free floating ont été adressés par la donnée. Le vrai métier de Mobike : la gestion des données. Le service de vélo en libre service gère 20TO de data par jour. Deux bénéfices non négligeables à l’analyse de toutes ces données :
1 - Piloter le modèle opérationnel de la flotte de vélo. Deux exemples :
Une couche d’expérience utilisateur vient compléter ces analyses permettant de véritablement gérer la flotte de vélos, notamment sur la redistribution géographique des vélos : un système de jeu et points que l’on gagne ou perd en fonction du lieu de dépôt du vélo et des chasses aux vélos le weekend façon pokémon go [NDLR pour plus de détails sur cette gamification, voir l'article “où est passé l’UX ?”]
Les résultats sont bluffants : seulement 5% de la flotte est redistribuée par les équipes Mobike.
2 - Collecter des données d’usage de gestion de la ville : volume de trajets, itinéraires, heures de trafic
Ce savoir-faire autour de la donnée est un atout de taille à l’heure où beaucoup de petits acteurs apparaissent. Un pari : ces nouveaux concurrents vont naturellement disparaître faute d’une vraie capacité analytique et opérationnelle à gérer la flotte.
Le modèle économique de Mobike est assez simple et éprouvé. Pas d’abonnement, pas d’engagement, seulement :
_In fin_e, de petits montants mais sur des volumes considérables (25 millions de trajets / jour en Chine) et le modèle est déjà rentable avec la location.
Si aujourd’hui, l’attention est portée sur la conquête d’une base d’utilisateurs solide, de nouveaux modèles sont à explorer :
La stratégie de lancement d’une nouvelle ville est, chez Mobike, basée sur un croisement entre l’analyse et l’opportunisme. Les paramètres qui entrent en compte sont :
Le lancement récent à Washington DC en dit long sur les velléités occidentales de l’entreprise chinoise. A terme, une vision ambitieuse : s’insérer dans la transformation urbaine en contribuant au développement de “hub” ou points sociaux de la ville grâce à des partenariats avec des chaînes de café ou grands retailers.
Mobike a donc le vent en poupe (100 villes dans une dizaine de pays) mais il n’est pas seul et il existe aujourd'hui toute une armada de vélos en _free floating designed and made in China _comme Ofo (180 villes dans 13 pays) ou encore Gobee. Et leurs programmes de développement s’étendent bien en dehors de la Chine : l’Angleterre (Manchester, Londres), les Etats-Unis (Washington, San Francisco, New York) ou la France (Paris, Lille) voient leurs trottoirs peuplés par ces nouveaux objets. Ce qui ne va pas sans poser quelques questions :
Des trottoirs légèrement encombrés... (Source : South China Morning Post)
Oui, ce sont des vélos x23 000 (Photo : Wired)
Les villes ne souhaitant pas que s'instaure le chaos ont commencé à se saisir des questions que pose le modèle du free floating. On voit ainsi les prémisses d’une régulation à Shanghai où les opérateurs devront fournir des vélos ne nécessitant aucune opération de maintenance pendant 2 ans (!) ou encore la ville de Paris qui réfléchit à l’instauration d’une taxe pour l’utilisation des espaces publics pour les nouveaux opérateurs...
“Every time I see an adult on a bicycle, I no longer despair for the future of the human race.”
H.G. Wells